Ce n’est pas le dernier charter de la saison mais c’en est le dernier jour. La plongée de ce matin sur l’avion de Calvi est encore dans toutes les têtes qu’il faut préparer celle de nuit prévue pour ce soir dans le désert des Agriates.
Encore un gros stress à prévoir, je ne suis pas sûr qu’au niveau sécurité toutes les règles soient respectées. Mais bon, c’est le dernier, ensuite nous irons mouiller devant Saint Florent et les clients prendront l’avion demain matin.
Tout va donc pour le mieux, la météo est idéale lorsque mon hôtesse m’annonce la tuile de la journée. La fille du boss organise une party après le dîner à laquelle l’équipage est convié. Chacun devra effectuer une chorographie.
S’en suit une vive discussion. Il est hors de question que moi et surtout mon marin et mon mécanicien nous donnions en spectacle en remuant notre popotin, il est inconcevable selon elle, après une telle croisière où nous avons su développer une telle osmose entre clients et équipage que nous ne participions pas à la soirée. Un compromis est trouvé, les filles de l’équipe feront leur danse, les garçons se contenteront de chanter une chanson. L’organisatrice est d’accord, elle veut savoir quelle chanson, ce sera « Dès que le vent soufflera » de Renaud.
Branle bas de combat en timonerie. Wifi, c’est le surnom de mon mécanicien car il est très fort en internet nous sort et imprime paroles et musique de la chanson. J’en donne un exemplaire au client russe qui parle très bien français et retourne à mes affaires courantes entrecoupées de répétitions et de traductions de l’argot en russe. Je suis dans un état second. Ivre de fatigue, ivre d’alcool dont j’ai augmenté la ration pour tout l’équipage, ivre de la cigarette aromatisée que m’a tendue mon marin pendant que j’attendais le retour de ma palanquée partie explorer les fonds corses à la lampe torche. il faudra vraiment revoir les règles de sécurité.
Je ne suis pas expert, mais grâce à Dorothée Doo j’ai une petite expérience de passage sur scène. Si bien que quand notre tour arrive de nous produire, je ne sue pas une seule goutte. L’audience est conquise, nous emportons un franc succès. En voyant la vidéo, qui ne manquera pas de ressortir un jour, je comprends mieux pourquoi. L’invité francophone a chanté en russe avec nous tout au long de la chanson, traduisant le texte en live aux autres passagers.
Le reste de la nuit n’est qu’un dérapage habituel pour « Lady Brigitte II ». Alcool à flot, musique à fond, danses rires et chants. A minuit je me lève prenant un air sévère comme je sais le faire et traverse l’assemblée vers l’arrière du bateau. Le boss a capté mon regard et m’observe plonger tout habillé du deuxième étage. « he is the one, he is the one » s’esclaffe un de ses amis en m’emboîtant le pas. Tous, passagers comme équipage, finissent par nous rejoindre à l’eau.
Au petit matin, je suis réveillé par des cornes de brume. On dirait que tous les petits bateaux du golfe se sont donnés rendez vous autour de nous. Je les salue, sans eux mes clients auraient peut être raté l’avion. Ils n’ont pas l’air content et me le font savoir. On aurait fait un peu de bruit cette nuit. Au port où je débarque en annexe les passagers se forme comme un petit comité d’accueil parmi lequel il me semble reconnaître le directeur. Seulement, ils n’ont rien le temps de me dire. Ils voient des hommes en uniformes prendre le taxi et un capitaine en civil repartir vers le bateau. Oui, pendant la nuit, nous avons aussi échangé nos maillots.
Il est temps de lever l’ancre pour une traversée vers La Napoule à 10kts. Mer d’huile, Red Cardell à fond, j’ouvre une petite bière.
