Couleurs initiatiques.

Un petit rhum ?

Mais il est sept heure du matin !

Tu as dormi ?

Non.

Alors un petit rhum, et trouve nous un mouillage qu’on fasse le point.

Je jette l’ancre au milieu d’une inclusion à l’ouest de la virgule qui marque l’extrémité sud est de la Sardaigne. En aquarelle, elle ressemblerait à une pinède espérances sombres soulignée d’une plage auréoline fermée par de sains rochers. Le bateau lévite sur une piscine majorelle semi-circulaire. L’horizon se teinte de rose alisarine qui en s’élevant prend un éclat lumineux annonçant l’arrivée imminente du soleil. Le reste du tableau  est déjà cæruleum.

Le petit déjeuner aussi marin que spiritueux pris, Mustapha me demande de tracer ma route sur une carte papier, à l’ancienne. Je m’exécute, tout fier de lui montrer que je sais encore le faire. Je sors ma bonne vielle règle Cras pour calculer la direction entre le cap Carbonnara où nous nous trouvons et le cap Bon lieu d’atterrissage en Tunisie. Avec le compas à pointe sèche j’indique nos positions estimées à chaque heure. Un, deux, trois … STOP !… Quoi stop ? … regardes où tu es.

Au beau milieu de la mer en plein sur notre trajectoire, un rocher affleure sous trente centimètres d’eau. Même virtuel, un échouage est douloureux. Sans Mustapha j’étais dessus. Je ne suis qu’un marin du Dimanche. Ma carrière est finie. Je dois retourner à l’usine. « Nous avons tout tenté pour le baliser ou le détruire, rien n’y fait. T’inquiètes pas, tous les novices non initiés y passent. »

A l’approche de l’écueil, Mustapha observe calmement ma montée en tension. Je cherche un signe trahissant la présence du danger. De remous il n’y en aura pas tant la mer est calme. Je ne peux compter que sur un changement de la couleur de l’eau. Ils sont quand même casse couilles ces constructeurs de ne monter le GPS qu’après la livraison du bateau. Le délai de sécurité est passé sans signe du caillou naufrageur. Je n’ai pas eu à modifier ma course. Monter sur cette tête d’épingle au milieu de nulle part relèverait de la mal chance mais il est bon de savoir qu’elle est là. Un petit rhum pour fêter ça. Le soleil devient brûlant, je chausse et noue autour de ma tête un tee-shirt à l’envers. Ma représentation mentale est celle d’un touareg, je me tourne goguenard vers Mustapha et lis dans ses yeux qu’il me prend vraiment pour un imbécile.

Le port d’Hammamet est en vue. Une nuée de Dauphins nous accompagne. Ils ne sont pas les mêmes que par chez nous mais tout aussi joueurs. Les moteurs ronronnent doucement. Dans une heure je me serai, comme toujours, trompé dans les comptes avec le Boss et me mettrai à la recherche de La Barmaid pour tout lui raconter. Un moteur seulement ronronne, l’autre s’est tu. Le second  s’éteint à son tour, panne sèche. L’ordre était de ne pas toucher terre en Tunisie avant la destination finale pour d’obscures raisons de taxes à ne pas payer. Les secours vont intervenir, les autorités vont découvrir que le bateau n’est pas en règle, que je ne possède ni brevet de navigation ni contrat me liant au Boss. C’est sûr, je vais finir dans le geôles tunisiennes.

Mustapha appelle son ami mécanicien qui nous rejoint avec une petite embarcation locale pour nous livrer quelques litres de gasoil. Ils discutent dans une langue qui m’est étrangère mais je devine qu’il y est plus questions des femmes qui les attendent au port que de notre fortune de mer. Je les observe, car je ne sais pas faire, réamorcer les injecteurs. les bourrins redémarrent.

J’ai la révélation, Dieu est une clé de treize.  

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