Toujours hypnotisé par son stradivarius, je traverse sous son pilotage un banc de veaux même pas marins affalés le nez en l’air en terrasse pour enfin atteindre dans un grand soulagement la salle du bar. Deux piliers de comptoir dissertent fin du monde. Au fond de l’arrière-cour quelques anciens échangent dans une langue reposante qui m’est étrangère. Un capitaine de navette à passagers termine son casanis en observant monter ses volutes déformées par le tremblement de ses mains. Les verres, avant de rejoindre leur raque, se demandent comment ne pas éclater entre les doigts de pianistes du patron qui nous écoute dubitatif négocier entre s’installer en salle ou au bar. Je l’emporte, c’est accoudé au zinc que je commande deux Pietra.
La psychette : Bon alors, comment on devient marin ?
Demoral : Faut tomber dedans quand on est petit. La navigation n’est pas vraiment un art ou une science qui s’apprend. Tu l’as ou tu l’as pas. En fait, la mer est une puissante drogue. Tu y goûtes, t’es pris.
La psychette : Ha, on attaque directe les grandes phrases ?
Demoral : …
La psychette : Pourquoi tu dis qu’il est sordide ce bar ?
Coup d’œil assassin du patron. Haussement de mon sourcil gauche alors qu’un frisson me parcours le dos. Il s’agit de faire comprendre en un regard repentissent qu’il ne s’agit que d’un léger détournement de langage. Soupir désespéré du tôlier qui laisse glisser.
Demoral : Malheureuse, tu veux qu’on me retrouve au fond du port ?
La psychette : Ton père était marin ?
Demoral : Ha, on attaque l’analyse ?
La psychette : Diccilimbibratu !
Je me doute que ce ne doit pas être une carresse.
Demoral : EST marin. Il va bien merci. Il est en route depuis Calvi, j’attends son arrivée dans l’après midi. Ca doit bastonner dur pour lui dehors.
La psychette : Pourquoi n’est tu pas dehors ?
Demoral : Mon boss n’a pas voulu sortir à cause du vent.
La psychette : C’est qui ton Boss ?
Demoral : Edouard Balladur.
La psychette : C’est vrai ?
Demoral : Non mais il lui ressemble. D’après ce que j’ai compris, c’est un grand directeur de grande banque. Par contre, un jour, il m’a ramené un vrai ministre à bord. J’ai joué l’opportuniste, je lui ai exposé ma situation. Si tu as deux minutes je t’explique.
La psychette : A priori mon destin est d’écouter ce genre d’histoires.
Demoral : Bien, alors patron la même s’il vous plaît. Disons pour faire simple que d’un côté j’ai un diplôme d’ingénieur en Génie Industriel que je ne saurais même pas t’expliquer ce dont il s’agit ni pourquoi ils me l’ont donné, et que de l’autre ayant bourlingué à chaque vacances contre rémunération en or autour de la méditerranée je dispose d’un métier pour lequel je n’ai aucun permis. Je navigue dans l’illégalité la plus totale. L’administration maritime française refuse de me régulariser. Ils ne prennent pas en compte mon expérience sous prétexte que c’était du travail au black et voudraient me renvoyer à l’école apprendre à faires des nœuds. De plus leur système est implacable et repose sur une doctrine dont je n’ai pas encore trouvé la faille. Il faut des brevets pour naviguer et il faut avoir navigué pour passer ces brevets. Ca me fait des nœuds au cerveau. Tout ceci sans leur avoir encore mentionné mon passage en hôpital psychiatrique.
La psychette : Tu ne leur dis rien et viens, on va marcher, on a assez bu.
La pénombre et la fraîcheur inhabituelle du dehors nous tendent les bras alors que nous allons passer le seuil du troquet quand mon cœur s’arrête.
Le patron : Hé les petits !!!
Demoral : Ouiii, pardon ?
Le patron : Que vous partiez sans payer c’est une chose mais que vous ne trinquiez pas sur la mienne me vexe.
Demoral : Ha si oui mais non mais si bien sûr avec plaisir. Pardon, l’amour nous étourdit.
Et Dieu créa cupidon.
( pour l’illustration on verra quand je suis grand)
J’ai l’impression de partir en voyage à chaque fois…
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