Renoncement.

(Retour à l’embarquement)

Demoral : Allo ?

La brokeuse : Le boss de « Gitane » m’ordonne de te débaucher.

Demoral : Ha oui, il ferait confiance à quelqu’un qui ne tient pas ses engagements ?

La brokeuse : Je pensais bien que tu me répondrais ce genre de vieillerie.

Demoral : Nous sommes le douze Aout, dans six jours j’en ai terminé ici et je suis à lui.

La brokeuse : Tu es un amour.

A l’angle du quai d’honneur où nous nous sommes rencontrés et du quai Jérôme Comparetti vers lequel j’espère continuer la balade, la psychette observe le retour d’une navette à passagers. Si elle m’attend, c’est qu’elle n’est pas fâchée. Sur la cahute à l’entrée du débarcadère une affiche grand format promet une rencontre avec les dauphins. Ce n’est pas très loyal d’utiliser le cétacé à des fins séductrices mais la technique est redoutable auprès de la midinette.

Demoral : J’ai du travail jusque fin Septembre.

La psychette : Félicitations.

Demoral : Tu veux nager avec les dauphins ?

La psychette : Bè pruvatu dolce core, mais continue de me parler de toi plutôt.

Demoral : En 1969, Bernard Moitessier participe à la première course autour du monde à la voile, sans escale et en solitaire. En passant le cap Leeuwin au sud de l’Australie un groupe de dauphins attire son attention. Ils ne jouent pas comme d’habitude. Ils se contentent de longer la coque du voilier puis virent sur tribord. Intrigué il descend sur sa table à carte faire un point. Il se dirige droit vers les rochers. Il ressort, règle ses voiles, et son cap s’adapte. Les dauphins changent de comportement. Ils font la fête et d’un triple axel, le leader du groupe lui dit « bravo l’humain, tu as compris. »

La psychette : C’est une belle histoire mais en quoi cela te concerne-t-il ?

Demoral : Au début de « La longue route », le livre de son aventure, il est question de compétition et de performances journalières. Mais au fur et à mesure du voyage le récit prend une autre dimension. Moitessier se détache de l’enjeu. Alors qu’il a quasiment course gagnée après le passage du Horn, il prend la décision de ne pas rejoindre l’Europe. Il renonce à tous les prix, il ne veut pas retrouver cette société de fous qui détruit tout et asservit. Alors il remet cap à l’est et entame un second tour du monde. A son deuxième passage de Bonne Espérance au sud de l’Afrique, il laisse un message : « Je continue parce que je suis heureux en mer et peut être aussi pour sauver mon âme »

La psychette : Tu t’identifies à lui ?

Demoral : Quand j’arriverai à hauteur du petit orteil de son pied gauche, je serai content. Disons que j’ai un peu moins bien négocié le tournant. Il a fallu que je naufrage pour comprendre.

Sur notre gauche défilent les terrasses des restaurants dont celle du très luxueux Hôtel « L’escale ». Le dernier boss de ma dernière croisière, un publicitaire génial dont la vision de la vie était phénoménale, m’y conviait régulièrement. Nous y rencontrions ses relations. Un jour des voileux sponsorisés qui n’ont jamais trouvé bon de m’inviter dans leur entreprise, un autre un business man qui crut nécessaire de m’expliquer comment réussir dans la vie avant de prendre deux éclairs bleu nuit entre les yeux. Sur notre droite, « Thendara » un classique de 37 mètres construit en 37 également. J’y aurais astiqué les cuivres bénévolement pour me faire enrôler comme simple marin mais le capitaine en deux minutes m’avait retourné sous prétexte que je n’avais jamais fait de voile. Dans ma tête s’ouvre le débat sur l’opportunité d’en parler et si oui sous quelle tournure de phrase.

Demoral : Faut aussi que je te parle de mes parents ou c’est mieux si je cause plus ?

La psychette : Plus personne ne parle de son enfance en séance et la communication non verbale fait partie de la thérapie. Relis Cicéron.

Demoral : Et si c’est carré je fais quoi ?

La psychette : Imbecile.

Nous cheminons silencieux jusqu’au carré des pêcheurs. La vedette de la SNSM avec ses vives couleurs bleu et orange en marque l’entrée. Les pointus, malgré l’absence de lumière blanche, utilisent le reste de la gamme chromatique. Le bateau du corailleur demeure aluminium. Les visages burinés des êtres qui animent ces embarcations donnent à la scène une allure de carte postale qu’il me serait difficile de décrire autrement que par des niaiseries.

Demoral : Tu vois ce bateau bleu et blanc en face, amarré de l’autre côté du port à l’envers des autres ?

Psychette : Oui.

Demoral : C’est le mien, le « San Antonio », un quinze mètres Open. En automobile ce serait un cabriolet. Dans la coque : deux cabines et un salon. Sur le pont : terrasse et console de pilotage. Tu verras, celui de mon père, un vingt deux mètres Fly, est différent. Dans la coque :  trois cabines. Sur le pont : un grand salon, une cuisine et un poste de pilotage. Au-dessus, la terrasse. Et là face à toi, qui avitaille à la station, tu as le modèle encore supérieur. Une vaste cabine armateur remplace le poste de pilotage qui se trouve surélevé d’un demi pont légèrement en contrebas de la terrasse. C’est la timonerie, le domaine du capitaine. Elle donne son âme au navire. Ses vitres me font penser à des lunettes de soleil posées sur un lobe préfrontal déterminé. Oui, c’est ça qu’il me faut. A trente cinq ans, j’aurai mon trente cinq mètres et j’aurai résolu l’équation du capitaine.

La psychette : Senza sperenza..

Dieu est une contradiction.

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